mercredi 28 octobre 2009

ALMA, LA BELLE OGRESSE


Elle est belle. Le tout Vienne est à ses pieds. Klimt, peintre déjà célèbre tombe sous le charme de la jeune fille quand elle n'a que 17 ans. La belle ne fréquente que de façon irrégulière l'école tandis que son instruction musicale est irréprochable. Quand Alexander von Zemlinsky, compositeur et musicien accompli, est appelé à lui donner des cours de composition, lui aussi succombe à son charme. Mais son destin est autre.

Dans une soirée Alma rencontre une vedette de la vie musicale viennoise de ce début du siècle: Gustav Mahler, chef d'orchestre, compositeur et directeur de l'opéra impérial. Pour cet homme c'est le coup de foudre quand la jeune fille, sa cadette d'une vingtaine d'années, lui explique avec aplomb qu'elle trouve un ballet qu'il avait programmé d'une niaiserie complète... Deux semaines plus tard il demande sa main. La famille d'Alma essaie de la dissuader, mais rien n'y fait, les fiançailles ont lieu le 23 décembre et en mars c'est le mariage.

Elle a 22 ans et ne connait rien de la vie domestique... Le mariage bat bientôt de l'aile. La belle et jeune Mme Mahler, malheureuse et déçue, ne reste pas longtemps insensible aux avances d'autres hommes. Elle tombe amoureuse de l'architecte Walter Gropius et même des séances chez Sigmund Freud n'arrivent pas à sauver son couple. Gustav Mahler est désespéré et essaie tout pour reconquérir sa femme mais c'est trop tard. Il tombe gravement malade et meurt en 1911.

Voilà Alma à 32 ans, veuve, riche et plus séduisante que jamais. Les hommes sont de nouveau à ses pieds, un de ses admirateurs la menace même de se suicider sur la tombe de Mahler si son amour reste inassouvi. Arrive un autre grand artiste de cette époque, Oskar Kokoschka.

"Comme elle était belle derrière son voile de deuil! J'étais enchanté!" écrit-il et deux jours après leur premier rencontre il lui envoie déjà des lettres enflammées. Il en écriera 400 lettre de plus pendant les trois ans que dure leur relation amoureuse. Mais le peintre est jaloux. Jaloux de tous ces hommes qui entourent la belle Alma, jaloux de son mari défunt. Il veille la nuit devant sa porte pour s'assurer qu'elle ne voit personne. Elle s'épuise dans cet amour tumultueux et reprend contact avec Gropius. Les retrouvailles sont passionnées et elle craint d'être enceinte.

La Première Guerre a commencé. Alma hésite entre l'architecte et le peintre, les lettres fusent, les promesses, les reproches et les voeux d'amour aussi. Les deux hommes partent à la guerre et Alma reprend la vie mondaine à Vienne en accueillant artistes, acutuels et anciens soupirants et devient la grande prêtresse de l'oeuvre de Gustav Mahler. Gropius obtient une permission de deux jours pour épouser Alma pendant l'été 1915, quelques jours plus tard Kokoschka est gravement blessé sur le front. La jeune épouse reste seule à Vienne et continue de tenir salon.

C'est là où elle rencontre en 1917 un jeune écrivain, Franz Werfel qui n'a que 27 ans à l'époque. Elle ne l'aime pas, le trouve laid et en plus il est Juif. Mais ils continuent à se voir et peu à peu, par un intérêt commun pour la musique, elle change d'avis. Gropius revient à Noël et se trouve face à une femme distante qui est soulagé quand sa permission se termine. Alma est de nouveau enceinte - mais elle ne sait pas de qui. L'enfant naît trop tôt et meurt. Alma et Gropius divorcent en 1920 bien qu'Alma vit déjà depuis 1919 avec Franz Werfel.

Alma est dans la quarantaine, sa beauté est sur le déclin mais il lui restes une allure impressionnante. Le compositeur Krenek la compare à "une frégate magnifiquement accoutrée" dont la vie tourne autour des repas opulents et raffinés bien arrosés. C'est sa vitalité et son franc parler qui vont désormais impressionner son entourage.

En 1929 Alma et Franz se marient finalement même si leur vie de couple n'est pas exempte de crises. Chacun commence à voyager de son côté et des tensions dues à leurs opinions politiques deviennent de plus en plus pesantes car Alma se sent proche du Nationalsocialisme naissant.

Quand ils apprennent lors d'un voyage en Italie que lAllemagne a conclu un pacte avec l'Autriche elle retourne toutefois seule à Vienne pour liquider tous ses biens. Le jour de "l'Anschluss" elle prend congé de sa mère et quitte avec sa fille Vienne pour rejoindre Werfel à Milan.

Les tensions entre les époux persistent, Alma trouve le clivage entre Juifs et Non-Juifs infranchissable. Malgré ceci le couple s'installe en France, près de Marseille à Sanary-sur-Mer. Alma considère la possibilité d'un divorce mais se décide finalement de suivre son mari dans l'exile aux Etats-Unis. Le voyage s'avère difficile et compliqué car ils n'ont pas de visa et doivent patienter cinq semaines à Lourdes pour obtenir finalement, grâce à Varian Fry, le document tant convoité. Fry amène Franz, Alma et le frère aîné de Thomas Mann avec sa famille à la frontière espagnole où il doivent traverser à pied les Pyrénées. Sans la vitalité d'Alma cette fuite aurait été impossible, à plusieurs reprises Heinrich Mann qui a plus de 70 ans et Franz Werfel, obèse et peu sportif, risquent de s'écrouler. Mais ils arrivent finalement en octobre 1940 à New York.

Alma et Franz continuent et s'installent à Los Angeles où vit une grande communauté d'intellectuels allemands et autrichiens. Werfel meurt trois ans plus tard d'une crise cardiaque et Alma devient "la grande veuve" comme l'appelle Thomas Mann non pas sans ironie. Claire Goll est plus méchante: "Pour raviver ses attraits fanés elle portait des chapeaux gigantesques aux plumes d'autruche; on ne savait pas si elle souhaitait ressembler à un cheval de pompes funèbres ou à un nouveau d'Artagnan. En plus elle était poudrée, maquillée, parfumée et complètement soule. Cette Walkyrie gonflée buvait comme un trou."

Une autobiographie basée sur son journal intime déclenche un scandale car elle ne se prive pas de remarques acerbes et souvent insultantes sur des personnes encore vivantes tout en glorifiant son propre rôle. Alma meurt en 1964 et est enterrée à Vienne.

Le théâtre de Lenche présente dans le cadre de "L'Europe intellectuelle en fuite" un spectacle basé sur un texte de Michal Laznovsky qui relate "l'excursion en montagne", c'est à dire la traversée de la frontière espagnole par Alma et Franz.

: Théâtre de Lenche, 4 place de Lenche 13002
quand: du 3 au 15 novembre mardi, vendredi et samedi à 20h30; mercredi et jeudi à 19h et dimanche à 16h
Tarif: 2-12 €

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